La réaction de déplacement est un phénomène psychologique parfaitement naturel et que l’on retrouve même chez les mammifères. Il s’agit, dans sa forme la plus simple, de ce que l’on appelle parfois un phénomène d’anthropomorphisation, comme par exemple lorsque l’on observe un aigle et qu’on trouve qu’il a un regard noble, que le chameau a l’air dédaigneux, et le lion majestueux. Effectivement, l’aigle n’est pas plus noble qu’un corbeau, et le chameau peut être aussi sympathique qu’une chèvre, seulement cette analyse étrange que nous faisons vient du fait que les formes de leurs bouches, yeux ou autres vont rappeler des formes que les êtres humains utilisent naturellement pour exprimer ces sentiments ou dispositions émotionnelles. Il s’agit donc d’une réaction de déplacement dans le sens où l’on arrive à adopter un émotionnel et même un comportement sur la base d’un déplacement qui est fait d’une information perçue et objective vers une interprétation subjective. L’industrie utilise très largement ce principe, notamment pour la création de jouets pour enfants, le simple fait d’exacerber la taille des yeux d’une poupée, et de lui mettre une tête proportionnellement trop grosse fera résonner dans le cerveau ses programmes de soin aux petits (soi dit en passant, c’est le même principe que l’on retrouve avec ces petits chiens que des croisements ont permis de rendre ainsi plus attractif).

Mais une réaction de déplacement va bien au-delà de ce simple principe et s’étend à tous les comportements que nous adoptons et qui visent à rediriger une émotion ou une énergie vers une cible extérieure ou neutre. L’exemple le plus simple et que l’on retrouve chez les grands singes sera celui d’un individu qui va décharger sa colère sur un rocher qu’il frappera avec un grand bâton plutôt que de s’attaquer à un ou une congénère. D’accord, ce n’est pas très fair-play d’avoir pris un exemple de singe sachant que cela s’applique parfaitement aux humains. Effectivement, nous utilisons très souvent ce principe pour défouler nos excès d’humeurs sur quelque chose de neutre, ou d’extérieur. Mais avec les humains, les objets de déplacements seront variables à l’infini. Cela pourra aller d’un objet, comme une boite sur le trottoir dans laquelle on met un coup de pied, à une personne neutre sur qui on va décharger sa colère pour éviter de le faire sur un proche. Cela pourra aussi être n’importe quel comportement que l’on met en place pour évacuer certaines énergies et qu’elles n’affectent pas négativement l’entourage : sport, thérapies, vider son sac autour d’un verre avec ses ami(e)s,…

Là où le principe de la réaction de déplacement devient beaucoup plus insidieux est lorsqu’il vient s’appliquer à un comportement étendu dans le cadre de la fuite de quelque chose que l’on ne veut pas voir chez soi-même. Jusqu’alors, la réaction de déplacement permettait à l’individu de rediriger un émotionnel ou une énergie dommageable pour quelqu’un d’important, vers une issue plus neutre par exemple. Certes, il existe aussi les exemples de personnes déchargeant leur frustration  sur un proche parce qu’ils sont dans l’impossibilité de le faire sur la source même de la frustration (son patron ou supérieur hiérarchique par exemple). Dans le cas où ce que l’on cherche inconsciemment à faire est d’éviter de tourner cet émotionnel ou ces énergies contre soi-même, il faudra alors trouver un substitut adéquat, et qui malheureusement sera généralement dans l’entourage direct. Très simplement, lorsque l’on sent inconsciemment que l’on a quelque chose à régler en soi, mais que l’on a trop peur de faire face à ces démons, il faudra rediriger ces peurs, généralement sous forme de colère, vers un réceptif extérieur. De cette manière, on concentre toute son attention sur ce qui ne va pas à l’extérieur pour réussir à ne pas ressentir ce qui ne va pas à l’intérieur. C’est une réaction de déplacement. La personne n’agit pas vraiment contre l’autre, c’est plutôt un moyen détourné de ne pas avoir à faire face à ses propres souffrances. Le problème, c’est que l’on ne peut se tromper soi-même que dans une certaine mesure. Même s’il s’agit d’un comportement inconscient, on ne peut pas risquer que le subterfuge devienne conscient et que l’on ressente trop ce qui motive et justifie ce comportement. Il faudra alors constamment être dans la surenchère, aller dans cette réaction de déplacement de plus en plus souvent et avec toujours plus d’intensité, ne serait-ce que pour maintenir l’illusion. C’est un cercle vicieux, car le maintien de l’illusion nécessite de constamment justifier la validité du comportement de déplacement utilisé et donc d’aller chercher tout ce qui peut justement permettre cela. Si l’on a choisi de s’en prendre à quelque chose qu’une personne de l’entourage proche fait ou ne fait pas, il faudra alors constamment rester focalisé sur ces éléments, à l’affut de chaque occurrence possible, quitte à même baisser ses propres seuils de tolérance pour accepter de nouveaux stimulus que l’on n’aurait pas forcément remarqué en temps normal.

D’une certaine manière, il s’agit d’une forme de mécanisme de défense, mais que l’on utilise pour se protéger d’une partie de nous-mêmes, ce qui évidemment n’aura d’efficacité que pour un temps limité, soit on épuisera les personnes qui servent d’objet de déplacement, soit on se retrouvera confronté à ce que l’on essayer de fuir. Dans tous les cas, il sera forcément nécessaire de revenir à ce qui nécessite la mise en place de la réaction de déplacement pour solutionner le mal-être et même le relationnel conflictuel qui pourra en découler.

Sébastien Cazaudehore

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